Je suis en BTS. J’y étudie la viticulture et l’oenologie, pour mon plus grand plaisir. Afin de d’apprendre et maitriser les travaux en vert, je dois trouver une entreprise qui acceptera, de me transmettre ces connaissances, durant la période estivale, dans le cadre d’un stage.
La viticulture est issue d’une transmission sur plusieurs générations, dans l’histoire de ma famille. Mon arrière grand-mère et mon arrière grand-père ont passé leur vie dans les rangs de vignes, transmettant ensuite ce savoir-faire à leur fils, mon grand-oncle, « tonton ». Qui a passé, lui aussi, sa vie dans les vignes. Mais je ne connais que peu ce grand-oncle, vivant paisiblement auprès de ma grande tante, non loin de sa mère, à St Nicolas de Bourgueil.
Nous sommes en mars 2015 lorsqu’avec ma mère, nous rendons visite à mon arrière grand-mère. J’en profite pour émettre le souhait d’effectuer mon stage à St Nicolas de Bourgueil. Je suis d’ailleurs ici pour déposer quelques lettres de motivation. Mon arrière grand-mère accepte alors que je puisse passer tout un mois chez elle, durant cette période.
J’en suis heureuse, car mon arrière grand-mère est d’une importance considérable dans mon coeur. L’idée de pouvoir passer tout un mois à ses côtés me met en joie.
Je trouve enfin une entreprise qui accepte de me prendre en stage. Ce n’est autre que l’entreprise avoisinant la maison de mon arrière grand-mère, quelle chance !
Nous sommes en juin, malheureusement, une vilaine chute mène mon arrière grand-mère tout droit vers l’hôpital. Sa peur phobique de ce lieu précipite son corps dans une grande détresse. Une simple blessure à la cheville la mène pourtant, dans une peine physique sans possibilité d’amélioration. Mon arrière grand-mère prend le chemin du grand départ, tout doucement. Durant quelques semaines, elle perdra doucement l’usage de ses membres. Avec son regard comme seule possibilité de communiquer. Et quel regard ! J’ai de nombreuses fois, faillit me noyer dans son regard bleu océan, rieur et paisible.
Mon stage commence. Heureusement, mon grand-oncle et ma grande tante, si généreux, m’ont proposé de venir loger chez eux durant tout ce mois. Tonton perd sa maman, tata, une belle-mère qui a marqué sa vie tant elle était sage. Nous perdons tous un membre pilier de notre famille.
Ce stage est difficile à vivre, car chaque jour je me rends dans la maison voisine de celle de mon arrière grand-mère, songeant à ces bons moments avec elle, dont je suis privée.
Je lui rends visite régulièrement, par chance je ne suis pas très loin de l’hôpital. Ses beaux yeux bleus comme seul moyen de communication, nous disent qu’elle est toujours là. Elle est là, elle nous entend, elle nous comprend. Alors j’en profite, un après-midi où je sens sa fin proche, pour lui dire tout ce que j’ai sur le coeur. Tout l’amour que je lui porte, et tout le bonheur qu’elle a apporté à tant de monde. Elle est une femme forte et incroyable, je tiens à le lui rappeler.
Les jours passent, et mon compagnon trouve un emploi saisonnier dans l’entreprise où j’effectue mon stage. Nous décidons alors, avec l’accord familial, de nous installer pour les quelques jours restant, chez mon arrière grand-mère.
Les premiers jours se passent très bien. Nous nous sentons bien dans cette belle longère, chaque jour bordée par le soleil. Vivre dans cette maison me donne l’impression d’adoucir ma peine, en me sentant plus proche de cette arrière mamie que j’aime tant.
Vendredi soir, nous rentrons à Tours pour le week-end.
Samedi matin, nous regardons la télé, fatigués. Lorsque le téléphone sonne. Mon frère répond, acquiesce et raccroche :
« Mamie est partie ».
Quelques mots simple sonnant pourtant d’une violence inouïe dans mon coeur. Ça y est. C’est fini.
Dimanche soir, nous décidons de manger tous ensemble, mon compagnon, mes parents, mon frère, et moi, à St Nicolas. Dans cette cuisine vieillie par le temps, qui a accueilli notre joie tant de fois. Mais cette fois-ci, pour de bon, mamie n’est plus là. Nous partageons ce repas, avec une joie étonnante et réconfortante. Ma famille s’en va, demain, le travail nous attend.
Le soir étant, nous partons nous préparer au sommeil à venir. Alors que nous discutons, quelqu’un frappe deux fois à la porte de la salle de bain. Surpris, nous nous taisons tous deux. Lorsque l’un de nous se décide à ouvrir, pensant d’abord que tonton venait nous rendre visite, comme il visitait sa mère bien souvent. Mais … Personne à l’horizon.
La télé du salon allumée, nous reprenons nos activités lorsque d’un coup, il devient vraiment difficile de s’entendre ! Le son de la télé s’est augmenté de façon étrange, sans intervention de notre part. Plus étonnant encore, alors que nous sommes là depuis une semaine maintenant, nous n’avons jamais eu ce type d’interventions étranges avant aujourd’hui. La seule différence ? Mamie s’est éteinte hier.
Nous discutons alors avec mon compagnon, et je lui confirme que oui, mamie est là, chez elle. Et j’en suis si heureuse. Nous décidons alors tous les deux, de lui parler de temps en temps. De lui expliquer pourquoi nous sommes là. Et que nous tenterons de respecter au mieux, son besoin de se sentir chez elle, en paix, en attendant ses funérailles.
Nous sommes donc lundi, la télé fait des siennes, le son augmente de temps à autres. Comme pour nous signifier qu’elle est bien là.
Mais vient le mardi, et la plus perturbante scène de cette période.
Habitants chez elle, nous avons décidé avec mon compagnon, de ne surtout pas investir sa chambre. Cette pièce reste donc fermée, comme un sanctuaire, où personne n’entre. La maison étant une longère, chaque chambre est accessible par un long (trop long) couloir.
Mardi arrive, nous décidons de faire une sieste après le travail. La chaleur étant accablante, nous effectuons des horaires décalés. Nous travaillons de 6h du matin jusqu’à 13h l’après-midi. Nous mettons un film sur notre ordinateur. Mon compagnon s’endort, mais je dois avouer que le sommeil est difficile à atteindre pour moi. Je regarde donc tranquillement le film.
Tout à coup, j’entends comme une sorte de sonnerie, que je pense venir du film. Je trouve étrange qu’une sonnerie retentisse à ce moment du scénario, car rien ne peut être lié à ce son étrange. Mon compagnon dort profondément. Je décide de mettre le film sur pause. Ce qui n’arrête pas la sonnerie lointaine. Je sens mon coeur s’accélérer, lorsque je pense à la télé-assistance appelée « présence verte » de mon arrière grand-mère. Je songe alors qu’il y a peut-être eu un faux contact, je me précipite donc vers le boitier. Mais il est totalement éteint.
Le son continue de retentir, alors je tends l’oreille. Ce ne sont pas nos téléphones portables, ni le téléphone fixe de mamie, … Je comprends alors que la sonnerie vient … De sa chambre ! Ce lieu sacré où nous ne sommes pas entrés depuis plus d’une semaine.
Tremblante, je colle mon oreille contre la porte de sa chambre, et j’ai confirmation de la provenance du son. Je prends la poignée, tout doucement, j’appuie dessus. J’ouvre la porte d’une lenteur presque exagérée. Je me dirige spontanément vers son réveil. Mais ce n’est pas lui qui sonne. Alors je suis le son, et parvient à sa commode. Sur laquelle est posé une petite horloge en forme de théière. C’est elle, c’est elle qui sonne. Mais c’est improbable, cette horloge n’a certainement jamais servi. Elle n’est même pas à l’heure !
Je la prends dans mes mains, choquée, envahie par tant d’émotions contradictoires. Je parcours le couloir, entre dans notre chambre. Ce qui réveille mon compagnon, puisque la petite horloge hurle toujours. Il la regarde alors, la retourne, lorsque nous constatons que la pile est explosée, et que le liquide coulant sur l’extérieur a séché avec le temps. Puis nous observons le bouton « On/Off » et seconde surprise, le bouton est enclenché sur « Off ». La petite horloge est donc éteinte, sans pile viable, et n’est même pas à l’heure. Pourtant elle hurle à pleine pendule.
Complètement abasourdis, nous mettons quelques secondes à intégrer cette information plus que perturbante. Mais sans avoir le temps d’y songer plus longuement, voilà que 2 minutes plus tard, tonton arrive dans sa petite voiturette, prêt à se garer dans la cours.
Mon compagnon et moi nous regardons, et presque en même temps nous nous disons : « Mais bien sûr, mamie nous a réveillé, car tonton était sur le point d’arriver ! ».
Le soir venu, nous préparons sa maison, nous la nettoyons sous toutes ses coutures. Dans l’intention d’accueillir l’ensemble de la famille le lendemain. Nous préparons nos vêtements, et je sens que mon arrière grand-mère est là, faisant ses aurevoirs à la maison qu’elle a connu durant plus de 80 ans. J’ai le coeur bouleversé. Je lui parle. Et même lorsque je dois lui emprunter son fer à repasser, pour préparer nos vêtements du lendemain. Je ne peux m’empêcher d’entrer dans sa chambre en m’excusant de la déranger, et en lui promettant de n’être que de passage.
Mercredi matin, les funérailles commencent. Les cérémonies funéraires de notre pays sont décidément bien trop tristes à mon goût. Vivement ce soir. Vivement que le temps passe, et que la tristesse s’amenuise.
Merci mamie, pour ce joli signe. Et merci maman de m’avoir récupéré cette petite horloge.
Merci à la vie de nous montrer que la mort n’est qu’une transition.
Et surtout, pardon mamie, pour tout ce qui a eu lieu après ton départ.
Léa 🌳