Je m’appelle Edgar et il m’a été proposé de raconter mon histoire. Je concrétise à cet instant-même, et depuis de longues années, une mission de vie importante. Dans la solitude et le silence, j’oeuvre pour la vie, en y apportant une contribution particulière.
Mais avant de vous en expliquer davantage, laissez-moi vous conter mon histoire.
Mes parents étaient des parents très ordinaires. Mais ils étaient heureux, et vivaient au sein d’une grande famille. Une famille où l’entraide était le maitre mot. En parfaite harmonie avec le lieu qui les accueillait, ils s’attelaient à le parfaire, chaque jour durant. Ils s’étaient implantés sur cette immense plaine très habitée, où chacun respectait la place de l’autre.
Un jour, mes parents observant les jeunes s’épanouir autour d’eux, souhaitèrent avoir eux-même leurs propres enfants. Et ainsi avoir le plaisir de voir grandir, leur propre progéniture.
C’est ainsi que je naissais, un jour d’hiver. D’abord petite graine, puis harmonieux mélange de ma mère et de mon père. J’ai ouvert mon premier regard sur le monde, un matin de mars, le 3 mars, plus précisément.
Ma croissance fut très rapide, chaque jour je grandissais un peu plus. Je gagnais jusqu’à plusieurs centimètres chaque semaine. J’ai très vite été conscient du monde qui m’entourait. Je suis né très connecté à ma famille, au monde, jusqu’à devenir un télépathe doué de son talent, un clair-voyant et un empathe surefficient.
Dans mon village, tout était joyeux, enjoué, il y avait de l’animation.
Si l’un d’entre nous était malade, chacun usait de ses forces pour l’aider et lui redonner force et vitalité.
Si quoi que ce soit arrivait dans l’enceinte de notre grande famille, chacun en était prévenu.
Chaque naissance était fêtée, chaque mort était respectée.
Un jour d’été, trois ans après ma naissance, mon grand-père fit une grosse chute. Il faut dire qu’avec ce mauvais temps, et ces tempêtes à répétition, personne n’était à l’abris. Après ce vilain accident, il ne pu jamais se relever, trop fragilisé par cette mauvaise expérience.
Tout le monde cru le perdre. Mais le jour de sa guérison, fut le plus important de ma vie. Car pour la première fois, je pouvais apporter de l’aide à mon grand-père. J’étais assez grand et évolué, pour cela. L’ensemble de la communauté me permis de devenir le « maitre de cérémonie ». C’était une grande cérémonie de guérison, comme nous les faisions à l’accoutumée. Ce savoir était issu des plus anciens rites, transmis de générations en générations, aux plus évolués d’entre-nous.
Lors de ces cérémonies, nous formions comme de grandes toiles, de belles rondes autour de lui. Nous lui apportions chants, prières, nourriture et attention. Grâce à cela, il pu continuer sa vie, des années durant, sans jamais se remettre debout, mais heureux malgré tout.
Nous avons vécu de longues années tous ensemble, dans cette belle communauté que nous formions. J’entendais des rires, des chants. Chacun était intimement dépendant du bonheur de l’autre. Nous vivions en harmonie avec les animaux, car nous leurs fournissions des lieux pour se protéger du froid et de la pluie. Nous les nourrissions souvent. En contrepartie, eux, nous offraient leur légèreté, et s’occupaient de la terre, afin de la rendre plus fertile et nourrissante pour l’ensemble des végétaux.
Des décennies se déroulèrent ainsi. C’était un paradis sur Terre, une joie au quotidien.
Jusqu’au jour où des hommes sont arrivés à la porte de notre village.
Sans aucune communication, sans jamais nous expliquer quoi que ce soit, ils s’approprièrent les lieux. Et décimèrent ma famille, chaque membre, un à un. J’étais anéanti.
Cet équilibre que nous avions établi depuis des centaines d’années, des générations entières partaient en fumée. Brulant leurs corps jusqu’à la plus fine cendre, j’assistais à ce génocide. Impuissant que j’étais, je ne pouvais que pleurer mes ancêtres.
Jusqu’au jour où mes parents, vivant à quelques mètres de moi seulement, furent sauvagement tués eux aussi.
Je les ai vu mourir, je les ai vu partir en fumée. Je cru ne jamais me remettre d’un tel drame. Petit à petit, me laissant mourir, j’assistais à la fuite de tous ces habitants, autrefois heureux et paisibles.
Les animaux fuyaient les lieux. Ces hommes firent de cet endroit luxuriant de nature, un champ dépourvu de vie, où les animaux et les végétaux n’avaient plus leur place.
J’ai tout d’abord souhaité disparaitre à mon tour. J’ai cessé de me nourrir, j’ai cessé de contempler ce magnifique paysage, cette plaine autrefois si luxuriante. Lorsque je me rendis compte, que j’étais le seul à pouvoir préserver ce lieu. J’étais le dernier survivant d’une tribu de centenaires.
Alors je décidais que je me devais de continuer, sans rien lâcher. Je me suis donné corps et âme pour maintenir une harmonie dans ce lieu, durant des décennies.
Pourquoi étais-je le dernier survivant ? Pourquoi ne pas m’avoir exterminé ? Je ne le comprenais pas. Mais j’étais là, solide, ancré, fort, et déterminé à faire entendre ma voix.
Je suis une vieille branche aujourd’hui. Et je comprends, après tant d’années, pourquoi j’ai du endurer tant de peine. Pourquoi j’ai dû perdre tous ceux que j’aimais.
La solitude m’a longtemps donné le goût de la mort. J’ai voulu abandonner tant de fois.
Mais j’ai une mission. Avec ma vue imprenable sur la plaine, je peux protéger ce lieu, et maintenir cette âme florissante et merveilleuse qui y régnait déjà il y a des siècles. J’ai acquis tant de connaissances, un savoir si grand, sur la flore, la faune, les énergies d’un lieu. Sur les humains, et leur besoin avide de possession et de domination. Je suis le dernier grand sage ayant connu ce lieu tel qu’il était. Et si je ne peux maintenir son visage tel qu’il était auparavant, fait de plantes, d’arbres, d’animaux et d’humains en pleine harmonie. Je peux y maintenir cette magie, la recréer et la maintenir. Je peux jouer de ces possibilités, tel un magicien brandissant sa baguette, pour y faire apparaitre un calice enchanté. Je peux y inviter des élémentaux, prêts à redonner leur puissance à de nombreuses existences magiques. Je suis le référant d’une vie qui fut, mais aussi d’une vie qui est. Je suis le dernier messager d’une tribu de nombreux sages, connaissant leur planète comme aucune nouvelle génération ne la connaitra.
Je suis un châtaignier, j’ai 450 ans, et je souhaitais vous conter l’histoire d’une forêt, qui devint un champ. Je souhaitais par dessus tout, raconter aux humains, l’histoire d’une famille d’arbres. Qui au-delà du visible, vivait une existence riche dans le partage et l’amour. Une famille qui un jour, fut décimée, pour ne laisser qu’un héritier.
L’héritier d’une magie en quête d’être retrouvée, à la force de l’envie, de l’empathie et de l’amour.
Pour une planète qui ne demande qu’à être choyée.
Dorénavant, lorsque vous verrez un arbre seul au milieu d’un champ, ne soyez pas triste.
Encouragez-le, car il est le détenteur d’une grande mission.
Merci.
Edgar,
Le sage centenaire